Architecture et Construction : Perspectives de développement de l’impression 3D

En janvier 2013, Universe Architecture, un cabinet d’architecture hollandais crée un battage médiatique en annonçant qu’il construira un bâtiment en utilisant l’impression 3D. Le grand public prend alors connaissance des possibilités de l’impression 3D dans l’architecture et la construction. 5 ans plus tard, les possibilités sont nombreuses, les sociétés se sont déployées. Qu’est-ce-qui a changé ?

Nous décidons à travers ce dossier de mieux découvrir ces deux secteurs, ses particularités mais surtout les perspectives de développement pour l’impression 3D. 3D Model Print pour l’architecture, XtreeE pour l’architecture et la construction et Apis Cor pour la construction sont les trois sociétés qui ont bien voulu partager leurs expériences de ces secteurs.

1.  Architecture et Construction : deux secteurs qui font bon ménage ?

« L’architecture se compose de l’ordonnance (ordo), de la disposition (dispositio), de l’eurythmie (eurythmia), de la symétrie (symetria), de la convenance (decor) et de la distribution ou économie (distributio). […] On doit faire ces travaux en tenant compte de la solidité (firmitas), de l’utilité (utilitas) et de la beauté (venustas). » Vitruve, De Architectura, livre I, chap.II, 1 et chap.III, 2[1].

Ces quelques mots de Vitruve nous font comprendre que le but de l’architecte est de créer un objet qui marquera par son esthétique tout en satisfaisant les besoins de solidité et d’utilité.

Jusqu’aujourd’hui, l’utilisation des codes graphiques de l’architecte ne lui permettent plus seulement de représenter en 2 dimensions ce qu’il produira mais aussi en 3 dimensions. Ainsi, l’architecture a une fonction purement fonctionnelle, contrairement à la construction qui a une fonction purement pratique dans la mesure où elle est la mise en œuvre de ce qui aurait été planifié en amont.

Architecture et construction : Peut-on parler de deux secteurs qui sont nécessairement complémentaires ?

La vision de Paul Mournaud, Maquettiste à 3D Model Print, société spécialisée dans la réalisation de maquettes architecturales, modélisation et numérisation 3D,corrobore cette définition de Vitruve : 

« L’architecture est un art. Son but est d’imaginer, de réfléchir et de concevoir des édifices, des structures et des bâtiments. Dans ses créations, l’architecte doit avoir une réflexion esthétique, voire philosophique ainsi qu’analyser l’impact social et environnemental.

La construction quant à elle, est un ensemble de mise en œuvre permettant la fabrication de ces édifices, structures et bâtiments. L’architecture pense la construction et la construction a besoin d’une réflexion architecturale. Les deux sont indissociables pour l’élaboration complète d’un projet physique et durable. Il peut y avoir une réflexion architecturale sans construction, mais cela ne reste qu’un concept sur papier, une idée, un dessin, une esquisse. Pour réaliser une construction par contre, il y a nécessairement un peu d’architecture, aussi minime soit-elle, mais on ne peut construire sans réflexion préalable. »

Toutefois, si l’impression 3D est utilisée aussi bien dans l’architecture que la construction, Alban Mallet, Président d’XtreeE, société technologique spécialisée dans l’impression 3D pour la conception architecturale, l’ingénierie et la construction, souligne la nécessité de repenser le lien entre les deux secteurs et l’impression 3D afin d’assurer une bonne cohésion des projets :

« Il faut refaire un lien entre l’architecture et la construction et intégrer encore plus la technologie dans la conception architecturale. L’architecte doit avoir toutes les clés pour intégrer les besoins de l’impression 3D, savoir ce que peut faire l’impression 3D et l’architecte en ayant ses clés pourra faire une conception qui sera adaptée à la technologie. Grâce à ça, il va être beaucoup plus en accord avec le constructeur car il saura comment les choses seront mises en œuvre, la technologie qui sera utilisée et les limitations de celle-ci. »

Alban Mallet

2. L’impression 3D dans l’architecture

Si l’utilisation de l’impression 3D dans l’architecture peut passer par plusieurs phases de l’élaboration d’un projet, son but premier est de faciliter la compréhension d’un projet. En effet, même s’ils ne s’en rendent pas toujours compte, les schémas des architectes ne se lisent pas aussi facilement qu’un livre et nécessitent une certaine expérience pour se projeter et visualiser une idée 3D à partir d’un schéma 2D.

Paul Mournaud explique que pour fabriquer une pièce architecturale, il faut d’abord connaître le type de fabrication qui sera réalisé : prototype, maquette de concours ou encore une représentation de l’existant. 

Il faudra ensuite déterminer tous les éléments qui interviendront dans la mise en œuvre de la maquette : type de machine, échelle, matériaux et finitions. Une fois ces données à main, il sera possible de réaliser la maquette numérique. Cependant, la réalisation du modèle 3D va être soumise à quelques contraintes imposées par l’impression 3D qui nécessiteront un ajustement des paramètres cités ci-dessus pour l’impression 3D. Comme vous pouvez le constater, utiliser l’impression 3D dans l’architecture implique donc de créer un prototype sur base duquel sera réalisé la construction finale d’un projet. Les imprimantes 3D les plus utilisées par les architectes sont souvent des imprimantes 3D de bureau. Cela n’exclut pas l’utilisation d’imprimantes 3D industrielles.

3. L’impression 3D dans la construction

L’utilisation de l’impression 3D dans la construction présente des différences beaucoup plus drastiques comparées aux techniques de construction traditionnelles.

Imaginons un instant le plafond d’une chapelle construite en style gothique en 1515. Visuellement, on penserait à une toile vivante de pierres. Ce type de structures encore plus solide qu’on ne se l’imagine serait difficile à reproduire car trop complexe pour les techniques traditionnelles du BTP. Elle nécessiterait une main d’œuvre extrêmement qualifiée, qui n’est pas facile à trouver et qui est très coûteuse.

L’impression 3D se pose comme une solution possible dans la construction de ce type de structures mais présente encore quelques défis.

Quels sont les défis de l’impression 3D dans la construction ?

Pour Anna Chenintai, responsable des relations publiques et du marketing chez Apis Cor, société technologique spécialisée dans la construction 3D, les défis peuvent se résumer en 4 principaux points :

« L’impression des bâtiments dans un environnement naturel non contrôlé. Pour concurrencer la construction traditionnelle, l’impression 3D doit être effectuée directement sur le chantier de construction sans nécessité de protection supplémentaire pour le processus d’impression. La solution à ce problème réside non seulement dans la mécanique de l’imprimante, mais aussi dans le domaine des matériaux de construction, c’est-à-dire le développement de matériaux appropriés pour l’impression 3D.

Anna Chenintai

L’imprimante doit être le plus autonome possible et fonctionner « en appuyant sur un seul bouton ». En ce moment, notre imprimante est un outil sophistiqué et elle ne peut être utilisée que par des personnes dûment formées. Cette approche est très difficile à mettre à l’échelle, surtout dans l’industrie de la construction.

L‘impression des surfaces horizontales. Dans l’impression 3D plastique, ce problème est résolu par l’impression des supports. Cependant, une telle méthode dans la construction 3D serait économiquement impraticable, parce qu’il faut réaliser des supports en béton, pas en plastique. L’impression de surfaces horizontales ouvre la possibilité d’imprimer des plafonds et des toits. Notre équipe y travaille et nous présenterons bientôt le premier prototype. Nous avons déjà l’expérience de l’impression de sous-sols, mais la question de l’armature automatique pour fournir la capacité portante requise reste d’actualité pour toutes les structures horizontales.

L’élaboration de normes pour la conception ainsi que l’analyse des structures et des bâtiments imprimés. Les professionnels qui s’occupent maintenant de la conception de bâtiments et de constructions ont besoin d’un cadre réglementaire et des logiciels associés pour calculer les futures structures imprimées faites de différents matériaux.  De nos jours, la conception et l’adaptation de projets sous les exigences de l’impression 3D prennent beaucoup de temps dans la construction. »

Comme l’annonce Anna Chenintai, l’impression 3D impliquela maîtrise de l’utilisation de certains matériaux.

Les matériaux qu’on peut utiliser dans l’impression 3D pour la construction

Alban Mallet, met en évidence les points forts et les limites des matériaux qu’il est possible d’utiliser en prenant l’exemple d’XtreeE.

« XtreeE travaille principalement avec du ciment et du béton. C’est un mortier de haute résistance qui permet de faire des structures solides. On travaille aussi avec l’argile et la terre. Ce qui permet de faire des formes qu’on ne peut pas faire avec l’impression 3D béton directement. On peut réaliser des moules complexes, ensuite retirer l’argile et le remettre dans la machine afin de le réutiliser, ce qui est intéressant en termes d’impact environnemental.

Le problème de l’argile est qu’il met trop de temps à sécher et son utilisation nécessite beaucoup de temps en termes de fabrication. Des efforts de travail doivent être fournis sur l’argile afin d’avoir des temps de fabrication plus courts.

On travaille aussi avec des polymères : PE, PEHD, polyéthylène… très différents de l’argile et du béton mais qui présentent aussi des avantages et des inconvénients. En termes d’avantages, ils sont faciles à mettre en œuvre, peuvent faire des formes qu’on ne peut pas faire en argile ou en béton car ça sèche très vite. Par contre, en termes d’empreintes environnementales, ce n’est pas toujours judicieux d’utiliser le plastique et c’est important de trouver à quel endroit on va le mettre.

En termes de recherche et de développement, nous analysons la possibilité d’utiliser les aciers et les métaux. »

Quels sont les paramètres à prendre en compte dans le développement des matériaux ?

Ces matériaux étant définis, il reste important de savoir les paramètres à prendre en compte dans la recherche et le développement de nouveaux matériaux. Sergey Nefedov, chef du département du développement technologique chez Apis Cor prend en compte 3 paramètres dans le développement des matériaux pour l’impression 3D :

Sergey Nefedov

« La rhéologie. De celle-ci dépendent la mobilité, la préservation de la mobilité initiale, la durée de vie du mortier et le moment de sa prise. Ces paramètres sont déterminés par la conception de l’imprimante 3D et la longueur de l’impression d’alignement.

Les caractéristiques physiques et mécaniques qui sont définies pour un projet spécifique en fonction de la nécessité de fournir la capacité portante des structures murales et les caractéristiques géologiques de la région.

Les paramètres techniques et économiques. Puisque notre but ultime est de fournir des logements abordables au plus grand nombre de personnes possible, nous avons l’intention de développer un mélange basé sur les matières premières locales avec un coût minimum qui permet d’atteindre les caractéristiques rhéologiques et physiques. »Tout comme XtreeE, Apis Cor travaille aussi avec des géopolymères et a développé une gamme de matériaux à base de matières premières minérales. Sergey Nefedov précise cependant que ces matériaux « nécessitent une installation matérielle. D’autres tels que le géopolymère, nécessitent des changements dans le système de mélange. En ce moment, nous voyons d’énormes opportunités pour l’utilisation de n’importe quel matériau pour l’impression 3D, mais nous pensons que pour les utiliser, il faut améliorer l’équipement. Pour l’instant, la seule limite pour nous est la granulométrie de la charge. Bien que nous ne travaillons qu’avec des matériaux de remplissage dont la granulométrie maximale ne dépasse pas 5 mm, nous continuons à travailler sur l’élimination de toute restriction d’utilisation de différents matériaux. »

4. Qu’en est-il des perspectives de développement ?

Jusqu’ici l’impression 3D est une technologie qui semble prometteuse pour la construction. Une chose est certaine, tout comme dans l’automobile et l’aérospatiale, elle permet de réaliser des formes complexes difficiles ou impossibles à réaliser avec des techniques classiques.

Les experts s’accordent aussi pour dire que sur le long terme, elle créera une sorte d’industrialisation dans la construction.

De plus, elle amène une pluridisciplinarité des filières (science des matériaux, architecture, recherche et développement, etc.) et un changement qui est aussi en lien avec le numérique et le BIM.

D’un point de vue environnemental, Sergey Nefedov précise que l’utilisation de l’impression 3D dans la construction va « réduire de manière significative la quantité de déchets de construction. Grâce à la précision de la machine, il sera possible de construire les murs une fois dans la forme désirée sans utiliser d’excès de matériau. Il ne sera pas non plus nécessaire de couper les éléments de la pièce et d’effectuer un traitement supplémentaire des murs. »

Toutefois, si certains envisagent l’utilisation de l’impression 3D dans la construction en prenant en compte le milieu social ou la géographie, la technologie n’est pas encore mature dans ce secteur et nécessite beaucoup d’investissements et d’essais pour pouvoir être utilisée en masse.  Comme Anna Chenintai l’affirme, « chaque nouvelle technologie est toujours chère au début de son chemin. [Il faut encore beaucoup de ressources pour la mettre efficacement en œuvre]. »

Avantages et points d’attention de l’utilisation de l’impression 3D dans les deux secteurs

AvantagesPoints d’attention
Facilitation de la compréhension d’un projet dans l’architectureNécessité de mieux adapter le travail de l’architecte à celui de la construction au moment d’intégrer la technologie
Apport esthétique dans la réalisation des maquettes 
Réalisation de formes complexesTechnologie encore chère au niveau de la construction
Possibilité de l’adapter au milieu géographiqueNécessite énormément d’investissements dans la recherche et le développement des matériaux
Construction respectueuse de l’environnementNécessite une main d’œuvre extrêmement qualifiée pour certains systèmes d’impression 3D
Gain de temps dans la constructionRéduit considérablement le besoin de main d’œuvre pour d’autres systèmes d’impression 3D

Conclusion

Si l’utilisation de l’impression 3D dans l’architecture permet de faciliter la compréhension d’un projet architectural, elle ne nécessite pas, par contre d’énormes défis comme vu dans la construction.

Toutefois, dans la construction, les avantages sont réels mais les défis sont encore nombreux. Si l’impression 3D révolutionne véritablement le domaine du BTP, en intégrant notamment une pluridisciplinarité des secteurs, son utilisation reste certes très couteuse et on se demande alors si on peut véritablement croire à son utilisation dans la construction des maisons sociales.  

Ce dossier a d’abord été publié pour la première fois dans le numéro d’août de 3D ADEPT Mag (2018).