Quel est l’impact de l’impression 3D sur la chaîne logistique ?

Il y a 6 ans, le nouveau mode opératoire de la société Fairphone, fabricant de produits électroniques, attire l’attention. « Une jeune cliente Manon, reçoit 3 SMS, la notifiant que l’usine locale démarrait la production de la coque de son portable. Une coque qui serait unique, spécialement conçue pour elle grâce à une imprimante 3D. En 2 heures, les spécificités du produit étaient fabriquées, prêtes pour l’assemblage. Impatiente de recevoir son nouvel achat, Manon a fait le choix de l’usine locale car elle génère le coût Carbone le moins cher, et le livreur tout près de chez elle, ne devrait pas tarder à venir lui remettre son produit. » Fictive ou pas, l’histoire de Manon nous a poussés à analyser la réalité du marché aujourd’hui. Nous sommes sans ignorer que la production à la demande, est presque devenue le « service de base » de nombreuses entreprises ayant recours à l’impression 3D. Alors, quel est l’impact sur la chaîne logistique, sur ses acteurs? Et à quel(s) point(s) les modes opératoires ont-ils changé pour les industriels et pour les consommateurs finaux ?

L’impression 3D, élément perturbateur de la chaîne logistique ou accélérateur de chiffres d’affaires ?

Le « Made in China » a longtemps été synonyme de prix bas pour les producteurs industriels. Aujourd’hui, les règles du jeu ont changé. Les producteurs industriels ont découvert l’impression 3D industrielle et s’ils ne maîtrisent pas encore l’aspect technique de la production, ils signent des partenariats avec des fournisseurs de services d’impression 3D qui assurent la production. De ce type de partenariats résultent souvent des collections limitées de produits imprimés 3D de marques qui ont déjà acquis une forte notoriété sur le marché.

La célèbre marque de chaussures adidas a notamment fabriqué une collection limitée des baskets AlphaEDGE 4D LTD en utilisant la technologie de fabrication additive de Carbon. De même, Morel a fait confiance à Initial, tout comme Safilo à Materialise pour la production de leur collection de lunettes imprimées en 3D.

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La gestion de la chaîne d’approvi-sionnement chez un fournisseur de services d’impression 3D industrielle

Nous nous sommes rapprochés de Protolabs, fournisseur de services d’impression 3D industrielle, pour découvrir comment se passe la gestion de la chaîne d’approvisionnement dans leur cas.
Protolabs fabrique des prototypes sur mesure et de pièces de production à la demande, d’abord par moulage par injection, puis par usinage CNC. La société a intégré l’impression 3D industrielle dans sa gamme de services à partir de 2015 en Europe, élargissant progres-sivement la gamme des technologies de SLA aux technologies SLS, DMLS, MultiJet Fusion, Polyjet, jusqu’à l’impression 3D de silicone.

Pour Solideth Chang, Sales manager à Protolabs, « la gestion de la chaîne d’approvisionnement est stratégique pour assurer la croissance et la rentabilité des entreprises : elle atténue les risques liés au développement des produits, peut prévenir les perturbations et permet de maximiser les opportunités. En d’autres termes, dans le domaine du développement de produits, une chaîne d’approvisionnement optimisée accélère la mise sur le marché et fournit une réponse rapide aux changements sans fin, tandis que dans le domaine de la fabrication à la demande, elle gère les menaces et les opportunités.

Le partenariat avec des fournisseurs qui tirent parti du potentiel de la technologie et des processus pour accélérer les réponses et les livraisons est essentiel à la réussite de la mise en œuvre d’une bonne chaîne d’approvisionnement.»

Usine Protolabs

Parlant de l’utilisation de l’impression 3D dans cette chaîne d’approvisionnement, Solideth Chang poursuit :
« L’impression 3D accélère la livraison des maquettes et des prototypes. Utilisée à la place ou en conjonction avec les pratiques de fabrication conventionnelle, l’impression 3D peut réduire considérablement les délais d’exécution. De plus, la fabrication additive s’avère être un processus efficace qui demande peu de temps et d’efforts au début du processus. Cependant, elle produit des pièces dont les caractéristiques physiques et les contraintes de conception sont quelque peu différentes de celles des pièces fabriquées à l’aide de procédés de fabrication traditionnels.

[…] L’optimisation des processus par l’automa-tisation conduit à des délais beaucoup plus courts. Par exemple, une commande de 500 prototypes moulés par injection, dont la livraison peut prendre des mois, peut être rendue disponible en 7 à 10 jours grâce aux services de moulage par injection rapide de Protolabs. »

Crédit : pièce fabriquée par Protolabs avec la technologie DMLS

D’un point de vue purement logistique, l’impression 3D se pose comme un accélérateur de chiffres d’affaires pour les fabricants industriels et dans une moindre mesure, les fournisseurs de service d’impression 3D industrielle.

Du côté des start-ups

Par ailleurs, on note un développement accru de start-ups qui créent leur business model autour de la production à la demande de produits imprimés en 3D. Parmi les produits de consommation destinés au grand public qui peuvent être fabriqués en utilisant l’impression 3D, les lunettes ont tendance à sortir du lot parmi les différents types de produits qu’on peut fabriquer. Des startups telles qu’Octobre 71 et King Children sont quelques exemples de sociétés qui ont dédié leurs services à la production à la demande des lunettes imprimées en 3D.

Dans ce cas précis de création de start-ups, il est encore difficile de déterminer véritablement si l’impression 3D contribue à faire un chiffre d’affaires conséquent pour leur société car, s’il est vrai que cette technologie leur permet de produire à la demande, de fait de mieux gérer les stocks et de limiter les frais pour une production hors de leurs frontières comme le faisaient traditionnellement les sociétés déjà établies sur le marché, la réalité est qu’elles ne bénéficient pas encore de la notoriété des grandes marques, et que leurs investissements doivent se porter ailleurs, notamment dans la communication.

Par ailleurs, l’autre prisme de la question nécessite de prêter attention aux marchés des acteurs de la logistique. L’avènement de l’impression 3D a-t-il été un frein dans leurs activités?

Les acteurs de la chaîne logistique face à l’avancée de l’impression 3D

Dans une étude conduite par l’Institut Technologie de Georgie , les chercheurs affirment que «depuis les années 80, l’informatique a évolué à une vitesse tellement rapide que la logistique et la chaîne d’approvisionnement ont toujours eu du mal à suivre. » Aussi, alors même que la technologie d’impression 3D métamorphose la chaîne d’approvisionnement, tout porte à croire que les sociétés spécialisées dans la chaîne logistique sont les parties prenantes qui vont pâtir de cette avancée mais la réalité montre que, certaines de ces sociétés ont fait de ce qui semblait être une difficulté une source d’opportunités.

Parmi les sociétés spécialisées dans la Supply Chain, UPS est l’une des premières sociétés qui à travers sa filiale UPS Capital, a vite couvert le risque que l’impression 3D représentait pour ses services.

En effet, en 2016, la société annonce un service d’impression 3D à la demande, comme solution sur mesure de la gestion de la supply chain. Le service s’appuie sur un partenariat avec SAP et repose sur la plateforme de production à la demande Fast Radius ainsi que sur l’usine d’impression 3D basée à Louisville (Kentucky). Il a pour but d’aider les entreprises de toute taille à rationaliser leurs chaînes d’approvisionnement et à proposer au marché des produits plus rapidement et à moindre coût.

Aussi, les clients commandent leurs produits sur le site de Fast Radius, et sont servis en fonction des critères géographiques et de qualité. Le service est disponible à l’international car les livraisons peuvent s’effectuer à l’échelle globale.

A titre d’information, dans le cadre de ce partenariat, SAP fournit à UPS un logiciel de bout en bout adapté aux solutions de gestion du spécialiste de la supply chain. Grâce à ce logiciel, il est par exemple possible de mieux évaluer les lots commandés, calculer les taxes, les frais d’expédition ou encore les factures de matériaux.

Crédit UPS – pièces fabriquées par Fast Radius

Après UPS, Fedex a suivi l’année dernière en créant une nouvelle société, FedEx Forward Depots, chargée de l’inventaire critique et de la logistique des pièces de rechange, de l’impression 3D, du centre de réparation et du laboratoire d’emballage FedEx.

Si la société n’a pas donné amples informations sur la façon dont elle entend gérer ce service, il semblerait toutefois que sa première idée était de « passer au niveau local » dans la fabrication, contrairement à son concurrent UPS.

Enfin, si on considère une échelle globale comme UPS, on remarquera qu’un fichier digital peut être créé à un endroit, prototypé à un autre – sans doute sur un autre continent – quelques heures plus tard, et envoyé dans la journée qui suit dans une autre zone géographique. Dans ce cas encore, la Supply chain joue un rôle clé mais on peut aussi y entrevoir une nouvelle forme de stockage.

Le cloud, nouvelle forme de stockage ?

Les entreprises de chaîne logistique détiennent des milliers d’entrepôts à travers le monde où les fabricants y gardent des pièces pour des services de maintenance. Dans la réalité, très peu de ces pièces sont effectivement utilisées et sont souvent mises aux oubliettes au fil du temps. Avec la fabrication additive, les fabricants ne gagnent pas seulement en temps mais aussi en espace, car, tout commence par un fichier digital.

Des entreprises telles qu’Onshape développent des plateformes de CAO sur le cloud pour faciliter la collaboration internationale entre les clients.

« Chaque jour, des entreprises du monde entier – en Asie, en Europe et aux Etats-Unis – nous contactent pour l’impression de petites pièces avec nos imprimantes nanoArch® », déclare le CEO de BMF, Dr. Xiaoning He. « Avant d’utiliser Onshape, nous devions envoyer des fichiers CAO par courriel à nos clients. Mais maintenant, notre équipe en Chine et nos clients à l’étranger peuvent travailler ensemble sur le même modèle en même temps. Il a vraiment amélioré notre efficacité et notre rapidité, et Onshape est le seul système de CAO capable de fournir cette capacité. »

BMF Material Technology est spécialisée dans l’impression 3D micro/nano-échelle qui permet de fabriquer des pièces extrêmement petites et complexes telles que des connecteurs, des endoscopes et toute sorte de ressorts minuscules.

Credit Protolabs – servers

Selon le Dr Xiaoning He, la plateforme accélère la courbe d’apprentissage pour leurs clients. En effet, le système CAO combine des outils de modélisation 3D avancés avec la gestion des données de conception dans un espace de travail sur le nuage sécurisé. Son architecture de base de données unique élimine les risques de sécurité et les problèmes de contrôle de version créés par des copies de fichiers non contrôlées, car une seule copie principale des données CAO est stockée dans le nuage, accessible uniquement par différents niveaux de permissions (édition, consultation seulement , commentaires, etc.).

En outre, le Sales Manager de Protolabs explique que grâce à leur nouvelle forme de stockage sur le cloud, ils ont réalisé « 1 million de numéros de pièces uniques fabriquées par moulage par injection à travers le monde et ont servi 37 000 développeurs en 2017 ». Aussi, considérer le cloud comme nouvelle forme de stockage, c’est donner la possibilité de télécharger un fichier CAO à partir du nuage, la télécharger par un (autre) producteur et l’imprimer à la demande. « Pour vu que la technologie, le savoir-faire et l’accès aux matériaux de l’utilisateur final le permettent bien sûr. Et aussi à condition que le designer soit enclin à donner accès à son fichier CAO de pièces détachées. Dans ces conditions, vous pourriez considérer le cloud comme nouvelle forme de stockage », conclut Solideth Chang.

Au final… ?

On retient que l’utilisation de l’impression 3D a effectivement changé la gestion de la chaîne d’approvisionnement et chaque partie prenante a su tirer parti de ce changement à juste mesure. Si les fabricants et les fournisseurs de service d’impression 3D industrielle arrivent à maintenir une production à la demande de façon « glocalisée » (globale + locale), c’est sans doute parce qu’ils tirent avantage du cloud, nouvelle forme de stockage.

D’autre part, pour l’instant, même si elles sont conscientes de l’impact de l’impression 3D sur la supply chain, seules quelques entreprises spécialisées dans ce secteur d’activité ont pu gérer ce risque – car précisons-le, beaucoup de produits sont enc ore fabriqués à l’aide de méthodes de fabrication traditionnelle.

Pour terminer, même si des illustrations n’ont été prises que pour la situation des industriels, il ne faut pas ignorer, qu’avec le « maker movement » et la vulgarisation de l’impression 3D utilisée par le public de masse, un bon nombre de personnes, certes, un taux réduit, fabrique eux-mêmes leurs produits quotidiens et n’ont plus du tout recours à la chaîne logistique, si ce n’est pour leur matériel, et encore, cela reste à vérifier.