Concevoir des pièces automobiles pour la FA : Les attentes ne sont-elles pas plus élevées que la réalité ?

Image: Altair - ExOne | Automotive bracket Optimized

Nous vivons une période intéressante dans le monde de la conception automobile. Avec les changements majeurs apportés par les nouvelles technologies, le monde a été témoin d’un large éventail de solutions qui peuvent être explorées pour concevoir et produire de meilleurs véhicules, et pour obtenir des véhicules plus intelligents. Mais il y a encore un fossé entre ce qui est montré et ce qui est réellement réalisé. Les attentes ne sont-elles pas plus élevées que la réalité ?

Au début, la plupart des cas d’utilisation que les constructeurs automobiles ont partagés concernant leur utilisation de la fabrication additive mettaient en avant la manière dont la technologie soutenait un processus de développement de pièces donné en trouvant les problèmes de conception avant la fabrication des outils de production. Au fil du temps, l’opportunité de répondre à d’autres besoins s’est présentée ; les concepteurs automobiles ont exploré une certaine flexibilité avec la FA qu’ils n’ont jamais connue avec une autre technologie, mais ils ont déclaré que le marché n’a pas atteint un point d’inflexion où l’utilisation de la FA deviendra systématique pour chaque pièce, pour chaque conception.

Les raisons de cette situation pourraient résider dans le fait qu’il y a trop de considérations de conception/exigences automobiles cruciales à satisfaire, et de domaines d’amélioration que les concepteurs automobiles attendent des fournisseurs de logiciels pour y parvenir.

Cet article a pour but de discuter des considérations de conception actuelles que les concepteurs automobiles devraient prendre en compte et des domaines d’amélioration attendus des fournisseurs de technologies de FA. Dans cette optique, nous avons réuni Altair et Sika Automotive autour de cette  » table « .

Altair Engineering Inc. alias Altair fournit des services de conception et d’ingénierie de produits, des services d’entreprise, d’analyse de données, d’IoT et de cloud computing dans un large éventail de services. Dans le secteur de la FA, le fournisseur de logiciels travaille en étroite collaboration avec les équipementiers et les fournisseurs automobiles pour mener à bien des projets de fabrication additive tout en proposant une solution logicielle unique qui couvre toute l’étendue de la conception à la fabrication. Jaideep Bangal, Design and Manufacturing – Global Technical Team à Altair Engineering, a apporté à ce segment la perspective d’un fournisseur de logiciels.

Sika Automotive est un fournisseur de solutions de collage, d’étanchéité, d’amortissement et de renforcement pour les pièces de carrosserie, la structure de la carrosserie, l’intérieur et l’extérieur des véhicules. L’entreprise utilise la FA depuis quelques années maintenant, afin d’accélérer le processus de développement de produits pour les composants structurels fonctionnels qu’elle fournit à divers équipementiers. Thomas Gasparri, responsable principal du programme et de la fabrication additive, Dimitri Marcq, ingénieur en chef CAO, ainsi que Jose Bautista, chef de produits, présentent le point de vue d’un fabricant de pièces automobiles dans cette rubrique.

Un regard sur les considérations de conception que les ingénieurs automobiles doivent absolument prendre en compte

Une discussion rapide avec plusieurs ingénieurs met en évidence un large éventail de considérations de conception qu’ils prennent souvent en compte dans leur travail. Ces considérations peuvent varier selon qu’on parle de pièces intérieures ou de pièces extérieures du véhicule.

La liste semble non exhaustive, mais certains éléments sont mentionnés plus que d’autres pour les pièces intérieures. Il s’agit par exemple du poids, de la température, des géométries complexes, de l’humidité, de la consolidation des pièces et des coûts.

Le poids a toujours été mentionné comme l’exigence numéro un dans les conceptions automobiles. Pour résoudre ce problème, les ingénieurs automobiles doivent souvent faire appel à des matériaux d’ingénierie avancés et à des géométries complexes pour réduire le poids tout en améliorant les performances.

Selon Bangal de l’équipe d’Altair Engineering, l’introduction des méthodes DfAM (Design for AM) a fourni à l’ingénieur de meilleurs outils pour réduire le poids des pièces.

« Depuis la mise en œuvre des méthodes DfAM, la conception automobile est mieux équipée pour tirer pleinement parti des technologies de réduction du poids comme l’optimisation de la topologie. Lorsque ces technologies de conception sont associées à un processus de fabrication qui peut désormais réduire considérablement la masse nécessaire à la fabrication de la pièce, les possibilités d’allègement atteignent de nouveaux sommets. Un véhicule plus léger équivaut à une meilleure économie de carburant ou à une plus grande autonomie », explique-t-il.

L’argument semble justifié, surtout lorsqu’il s’agit de gagner du temps en redessinant plusieurs pièces en un seul composant complexe (consolidation de pièces). Toutefois, il ne tient pas toujours compte d’autres exigences telles que la température ou l’humidité.

La réalité montre que la plupart des applications automobiles exigent une déviation thermique minimale importante, et la déviation thermique dépend souvent du matériau choisi. En outre, la plupart des pièces automobiles doivent être résistantes à l’humidité.

Pour Bangal, « il devrait exister une solution unique pour l’ensemble du cycle de développement de produits de « conception pour la fabrication additive’’, qui aiderait les concepteurs à créer les conceptions les plus efficaces pour tout critère de performance donné, quelle que soit la méthode de fabrication additive (SLM, jet de liant, FDM, etc.) ; à optimiser les orientations et les structures de support ; et à simuler rapidement le processus d’impression de manière virtuelle pour vérifier la faisabilité de la fabrication. »

Bangal a raison. Ce serait en effet le processus idéal, mais la réalité est différente.

Le paradoxe de la méthode « DfAM’’

Dans un récent dossier de 3D ADEPT Mag intitulé « Design for additive manufacturing : how to increase the value of the part through intelligent optimization« , nous expliquions qu’il n’y a pas de doute, on conçoit pour la FA lorsque les méthodes/outils utilisés permettent de prendre en compte l’optimisation de la topologie, la conception de structures multi-échelles (treillis ou structures cellulaires), la conception multi-matériaux, la personnalisation de masse ou la consolidation de pièces. Cette liste n’est pas exhaustive puisque d’autres outils peuvent être ajoutés en fonction de la technologie de FA utilisée ou de la production d’une pièce donnée.

Dans l’industrie automobile, l’utilisation des méthodes DfAM se résume au goût du chef en cuisine, puisque leur utilisation varie d’un constructeur à l’autre, ou d’une application à l’autre.

Dimitri Marcq, ingénieur principal CAO chez Sika Automotive, a expliqué à 3D ADEPT Media qu’ils ont dû adapter leurs directives. Prenant l’exemple des méthodes DfAM utilisées pour réduire le temps d’impression et le volume de matériau, il note :

« Dans un premier temps, nous commençons par définir la technologie de FA en fonction du type de pièce, de l’utilisation finale, de la quantité à produire et du délai d’exécution. Ensuite, la conception est optimisée pour la technologie choisie : orientation, limitation de la quantité de matériau nécessaire pour imprimer la pièce, définition de la résolution pour améliorer la vitesse d’impression [ou même] conception de la pièce en fonction des propriétés du matériau. De telles directives sont en cours d’élaboration au sein de Sika Automotive pour chaque technologie. Pour certaines caractéristiques spécifiques, il peut être intéressant d’utiliser des pièces prêtes à l’emploi montées sur les pièces imprimées. Cela permet de réduire le temps d’impression, en supprimant une certaine complexité ».

Prenons l’exemple des structures en treillis. Elles peuvent posséder de nombreuses propriétés supérieures aux matériaux solides et aux structures conventionnelles et l’un de leurs avantages est qu’elles sont capables d’intégrer plus d’une fonction dans une pièce physique, ce qui les rend intéressantes pour des applications autres que l’automobile.

« Les structures en treillis [sont idéales] pour nos applications de renforcement (pièces plus légères, meilleure absorption d’énergie, etc.). Nous [avons déjà produit] quelques échantillons : ils étaient faciles à imprimer et vraiment rigides. Ce type de structure ne peut être imprimé qu’en 3D, et est donc limité à la production de petits volumes. En outre, le logiciel que nous utilisons quotidiennement n’est pas conçu pour concevoir de telles géométries. Il faudrait des logiciels dédiés pour progresser dans cette direction », souligne Marcq.

La question des coûts : qu’est-ce qui augmente les coûts ? Et surtout, comment éviter un coût élevé de la pièce finale lors de la phase de fabrication ?

En tant que fabricant, la proposition de valeur parfaite serait d’amortir le coût de l’outillage sur un volume beaucoup plus important et une période plus longue. Les modèles de coût additif ont changé le paradigme en permettant de réaliser qu’il n’est plus nécessaire de construire d’abord un outil, mais qu’il est possible de passer directement à la fabrication de la pièce. Selon Deloitte, le rapport coûts-avantages va encore plus loin car, contrairement aux outils – qui sont généralement construits pour soutenir le cycle de vie d’un véhicule pendant cinq ans, plus la production de pièces de rechange supplémentaires – nous pouvons réutiliser la même imprimante 3D sur plusieurs programmes de véhicules et générations de modèles.

Cependant, certaines industries suggèrent que, malgré son potentiel et ses avantages par rapport à la fabrication traditionnelle, la FA peut augmenter le coût unitaire de la fabrication de certaines pièces par rapport à l’utilisation de méthodes traditionnelles d’un facteur de 10 à 100.

« L’automobile a des besoins spécifiques en termes d’échelle, de coût et de matériaux qui diffèrent de ceux des autres industries. La vitesse de production et le coût des pièces sont les principaux obstacles à surmonter pour accroître l’utilisation de la FA dans l’industrie automobile », reconnaît Thomas Gasparri de Sika Automotive.

Les modifications de conception peuvent être une arme à double tranchant dans la mesure où elles peuvent augmenter ou réduire le coût final de la pièce, selon l’angle d’analyse.

Lorsqu’il les compare à la fabrication traditionnelle, Gasparri explique que la FA l’emporte sur la fabrication traditionnelle qui ne tient pas compte des multiples changements de conception susceptibles d’augmenter les coûts au final :

« La FA permet aux concepteurs et aux ingénieurs d’essayer de nombreuses itérations simultanément, ce qui peut réduire les coûts initiaux causés par les modifications de conception de l’outillage. Les erreurs de conception de l’outil ne se manifestent qu’après l’usinage. Les multiples modifications de conception passent du concepteur à l’ingénieur en charge de l’outillage jusqu’à ce que la conception et la qualité finales de l’outil soient atteintes. Cela ajoute des coûts et augmente le temps de mise sur le marché.

La FA est un pont entre le concept et la production de masse finale. Elle permet de tester une conception sans avoir à investir dans l’outillage. La conception finale est imprimée en 3D pour valider les performances. Une fois qu’une conception fonctionnelle est approuvée, l’usinage de l’outil peut commencer et les changements de conception coûteux peuvent être évités. »

Cependant, selon l’expert d’Altair, une focalisation exclusive sur la FA révèle que « plus de 40% des coûts associés à la fabrication additive proviennent des déchets. Cela comprend : le gaspillage de matériaux par l’impression de tonnes de supports et le post-traitement par la suite (en raison d’une mauvaise conception/ sélection de pièces pour l’impression 3D) ; le gaspillage de temps par l’impression en utilisant des orientations incorrectes (ce qui entraîne des échecs d’impression) ; ainsi que le gaspillage financier via les méthodes d’impression par essais et erreurs, la main-d’œuvre de reprise et les coûts des machines, etc. »

En outre, les maillages et les structures tubulaires complexes pourraient également entraîner des coûts prohibitifs susceptibles d’augmenter le prix d’un véhicule de plusieurs milliers de dollars, d’où le temps que les ingénieurs passent à négocier des devis avant la production.

Pour éviter les coûts finaux onéreux, l’expert affirme que « les concepteurs doivent comprendre les contraintes de fabrication, les directives de conception spécifiques aux imprimantes 3D et, surtout, que la prévision et la correction précoce des défauts de fabrication sont la clé pour éviter les coûts susmentionnés. »

Domaines à améliorer et perspectives d’avenir

Chaque voiture passe par un processus de conception et de développement énorme et complexe. La fabrication sur le cloud a rendu la conception automobile plus facile, plus rapide et plus abordable pour les entreprises qui ne veulent pas consacrer de temps à ce type de développement en interne.

Pour les ingénieurs automobiles qui travaillent sur leurs conceptions en interne, Bangal affirme que « l’apprentissage de l’utilisation de ces outils [DfAM] est la partie la plus facile ». « Sortir de sa zone de confort et s’adapter aux méthodes de conception et de fabrication de nouvelle génération est un changement lent. » Parlant de la contribution d’Altair dans ce domaine, il ajoute : « Altair a mis au point une méthodologie de conception novatrice qui identifie rapidement et efficacement les opportunités par l’exploration de la conception, en faisant converger le mélange approprié d’indicateurs clés de performance qui est souhaitable pour nos clients. Ce processus continue à être affiné au fur et à mesure que de nouvelles technologies sont développées et s’est avéré très efficace pour parvenir à des économies de poids substantielles dans des limites de performance et de coût acceptables. Cette méthodologie est actuellement perfectionnée grâce à notre nouvel outil ‘Design AI’ qui recueille des ensembles de données optimaux, sélectionne automatiquement le meilleur modèle d’apprentissage automatique et permet à l’utilisateur de réaliser des études de simulation rapides pour améliorer rapidement la conception en collaboration. En fin de compte, le défi consiste non seulement à développer un design cool, mais aussi, et surtout, à obtenir le bon équilibre entre coût, poids et performance. »

Enfin et surtout, pour faire progresser l’industrie automobile, un effort collectif allant au-delà de ce que les équipementiers peuvent réaliser est indispensable. Bien que les fournisseurs de logiciels et les ingénieurs/concepteurs automobiles des équipementiers aient été les premiers concernés par cet article, il convient de noter que ces efforts incluent également les fournisseurs de matériaux et les fabricants de machines de nouvelle génération.

Dans cet esprit, pour faciliter leur travail de fabricants de pièces, Gasparri invite les fournisseurs de logiciels à développer des outils qui « les aideront à obtenir la meilleure orientation, en fonction de la technologie choisie, afin d’optimiser le rapport pièce/matériel de support ; des outils qui les aideront à définir la taille optimale des lots » et les fabricants de machines à mettre en place un « écosystème plug & play (imprimantes/matériaux/paramètres), avec une stratégie d’open source. »

Ce dossier a été initialement publié dans le numéro de Mars/Avril 2021 de 3D ADEPT Mag.