Impression 3D médicale: « Ce n’est pas parce qu’on peut l’imprimer, qu’on peut l’utiliser »

Khanh Tran Duy

Le développement de l’impression 3D dans le secteur médical révèle qu’il y a environ 7 spécialités qui exploitent déjà la technologie : la chirurgie orthopédique, la chirurgie maxillo-faciale, la chirurgie plastique reconstructrice, la chirurgie ORL, la neurochirurgie, la chirurgie cardiaque ou encore la chirurgie urologique. Alors que la technologie se développe et occupe une place prépondérante dans la pratique médicale, ses principaux apports (réduction du temps opératoire & gain de précision dans les gestes opératoires) sont presque toujours mis en avant au détriment des réels enjeux que son utilisation implique, des enjeux qui sont souvent d’ordre légal et d’ordre communicationnel.

Une discussion avec 3D-Side permet de clarifier ces zones d’ombre dans ce secteur vital pour l’homme. Une discussion qui montre surtout que, dans le secteur médical, « ce n’est pas parce qu’on peut imprimer [un modèle], qu’on peut [de facto] l’utiliser ».

3D-Side, une société spécialisée dans la technologie « patient specific »

3D-Side a été créée par Khanh Tran Duy et Laurent Paul. Khanh Tran Duy a effectué une thèse dans l’assistance à la chirurgie maxillo-faciale et Laurent Paul a focalisé sa recherche dans l’assistance à la chirurgie tumorale osseuse. Avec plus de 15 ans d’expérience dans le domaine, ils ont décidé de joindre leurs compétences en créant 3D-Side afin d’en faire bénéficier les professionnels du médical à un niveau international.

3D-Side vise donc à valoriser les résultats de leur thèse tout en apportant une valeur ajoutée à la qualité du travail des médecins. Les produits proposés par la société ont pour socle les technologies d’impression 3D. Au niveau technique, les spécialistes se basent sur les images médicales du patient pour dresser un planning qui décrira la procédure à suivre pour son cas. Une fois la fabrication du dispositif médical (DM) effectuée, celui-ci est envoyé à l’hôpital concerné.

Après plus de dix ans de recherche & développement, l’équipe a réussi à mettre en place une plateforme, « Customize », qui permet de créer des dispositifs sur mesure imprimés en 3D, d’interagir avec le chirurgien et d’assurer une traçabilité complète des dispositifs pour faciliter l’ISO13485. Cette plateforme a été développée pour optimiser la production des produits de 3D-Side (implants crâniens sur mesure, guide chirurgicaux, modèle anatomiques…) et est désormais utilisables par d’autres sociétés médicales actives dans le sur-mesure.

L’impression 3D dans le domaine médical

Images via 3D Side

L’impression 3D telle que nous la connaissons est la fabrication d’un objet en trois dimensions, réalisée à l’aide d’une imprimante 3D, d’un fichier numérique, et de certains matériaux (métal, plastique, céramique, résine). Jusqu’ici le procédé a l’air plutôt simple à réaliser une fois qu’on possède une imprimante 3D et des matériaux de qualité.

Seulement, dans le domaine médical, un certain nombre de paramètres rend l’utilisation du modèle imprimé en 3D complexe. C’est pourquoi Khanh Tran Duy parle de la différence entre « fabriquer un STL » et être le fabricant légal d’un DM : « Pour imprimer un modèle en 3D destiné à une utilisation médicale, il ne suffit pas d’avoir une imprimante 3D, un logiciel et les matériaux appropriés. Le domaine médical établit une différence fondamentale entre « fabriquer » et « être le fabricant légal ». Le fabricant légal se confronte et se conforme aux directives européennes relatives à l’utilisation de l’impression 3D dans le domaine de la santé. En plus de prendre la responsabilité de la compatibilité de sa technologie, pour chaque élément fabriqué, il faut produire un nombre de validations, pour s’assurer que le dispositif va être performant. »

Aspects légaux à prendre en compte dans l’impression 3D de dispositifs médicaux

Au niveau de l’Union Européenne, 5 principaux aspects sont souvent pris en compte dans l’impression 3D de dispositifs médicaux. Bien entendu, nous observons des nuances au niveau de la législation applicable par pays :

  • Les conditions d’accès au marché. De manière générale, Khanh Tran Duy explique qu’une série de mesures pour améliorer la traçabilité des DM imprimés en 3D a été mise en place. Aussi complexes soient-elles, ces mesures impliquent que les distributeurs et importateurs, collaborent avec les fabricants afin que chaque acteur de la chaîne d’approvisionnement soit en mesure d’identifier celui qui le précède et celui qui le suit. A leur niveau, l’ingénieur civil de formation ajoute que, « Customize », leur plateforme « sur mesure » permet d’assurer un échange collaboratif entre tous les acteurs d’un projet. Un module (de « co-design ») permet au chirurgien de modifier et de valider le prototype avant la production, de superviser la production en tant que tel, et d’assurer la communication avec le pharmacien, si nécessaire, afin de permettre que chaque élément arrive au bon endroit, à la bonne personne et au bon moment.
  • La responsabilité. Comme le co-fondateur de 3D-Side le dit : « en imprimant un DM, un fabricant légal prend la responsabilité des technologies qu’il utilise. Il est aussi responsable du modèle imprimé en 3D et redevable auprès de la législation en vigueur dans son pays. En fonction de l’application, la norme ISO 13485 est à suivre à la lettre et implique, notamment, la validation de tous les logiciels utilisés dans l’entreprise. Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que de nouvelles règlementations seront mises en place dès mai 2020. La EU-MDR (Medical Device Regulation) renforce fortement toutes les obligations. »

A ces deux aspects, s’ajoutent 3 autres tirés du rapport de la KCE (Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé) sur l’impression 3D des dispositifs médicaux à haut risque : la protection des données du patient, les droits du patient et les droits de propriété intellectuelle.

 Les dispositifs médicaux & la personnalisation de masse 

Comme dans chaque domaine de l’impression 3D, on se demande souvent si la production de masse et/ou la personnalisation de masse sont envisageables. A cette question, Khanh Tran Duy met en évidence l’existence de deux types de DM : les DM sur-mesure et les DM personnalisés (marqués CE).

UN DM personnalisé doit suivre un processus de marquage CE car il est juste « adapté » au patient (via ses images médicales). Le sur-mesure, lui, reste hors marquage et nécessite donc un processus de validation/documentation systématique ainsi qu’un PMS (post marketing surveillance) approprié. Cela implique beaucoup de temps…

Le cofondateur de 3D-Side explique que pour ces dispositifs, « la personalisation de masse est possible mais ça reste délicat car il faut assurer la performance. On est, par ailleurs, en flux tendu de manière permanente ». C’est pourquoi nous avons créé la plateforme « Customize » qui est désormais proposée à d’autres fabricants de dispositifs sur mesure ou personnalisés. « Customize » assiste les professionnels de la qualité et de la réglementation afin d’assurer une certification plus aisée.

Défis et perspectives de développement

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Parlant des défis de l’impression 3D dans le secteur médical, on note que l’argent reste un frein considérable à son intégration complète.

En effet, en dépit de leurs avantages lors de la préparation d’une opération chirurgicale, le prix d’un DM imprimé en 3D reste élevé. Ce prix s’explique non pas par le cout d’impression, mais par l’assurance relative à la responsabilité du fabricant du DM.

Khanh Tran Duy ajoute qu’« en Europe, les prix sont bas mais tous les marchés sont différents car il faut bien assurer les conditions d’accès au marché à chaque partie prenante. »

Par ailleurs, contrairement à ce qu’on aurait pu l’imaginer, un hôpital ne peut pas imprimer ce qu’il veut. Un hôpital qui imprime lui-même son modèle en 3D, s’il est utilisé pour un patient, produit un DM. Le rapport KCE sur l’impression 3D le stipule clairement : un système qualité doit être en place et aucune alternative extérieure ne doit exister… S’il est utilisé en salle, vient en plus toutes les validations de tenue à la stérilisation, de stérilité, de biocompatibilité, … En outre, il ne s’agit pas seulement d’avoir une imprimante, il faut aussi maîtriser les nouvelles compétences que ces technologies demandent.

Il y a de plus en plus de technologies d’impression 3D mais ce n’est qu’une « petite » étape dans la production d’un DM. Le cout/bénéfice (médical et financier) doit toujours être contrôlé et mesuré. Pour le patient et pour la sécurité sociale.

En dépit de ces freins financiers, le cofondateur de 3D-Side entrevoit un futur clair où la personnalisation de masse sera possible et où le marché tâtonnera moins sur les technologies car celles-ci auront eu le temps de faire leurs preuves. Les fabricants cependant, devront toujours garder un œil vigilant à la réglementation, car « ce n’est pas parce qu’on peut l’imprimer, qu’on peut l’utiliser », conclut Khanh Tran Duy.

Cette interview a été initialement publiée dans le numéro de mars-avril 2019 de 3D ADEPT Mag.

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